Guerre de 1914-1918 : Désertion à Lajo

Mercredi 23 novembre, la salle Urbain V a accueilli une conférence présentant le destin singulier d’un soldat de la Margeride pris dans le tourment de la Iè Guerre Mondiale, le dénommé Firmin Soulier. David Davatchi, directeur de l’ONAC, et Benoît Kwietniak, archiviste aux Archives départementales de la Lozère nous ont plongé dans la grande et la petite histoire en racontant l’histoire tragique de ce conscrit, natif de Lajo. C’est à Lajo justement que commence leur récit. Il y a près de 20 ans, David Davatchi repère un nom sur la plaque des morts de la Guerre de 1914-1918, un certain Justin Soulier, de L’Estival (commune de Lajo) qui ne correspond à aucun individu tombé au Champs d’Honneur.

Des Souliers, à L’Estival il y en a quelques-uns, mais aucun Justin. Mystère… Jusqu’à ce qu’en 2021, au détour d’une recherche administrative aux Archives départementales, Benoît Kwietniak découvre le dossier extraordinaire, daté de 1938 d’un nommé Firmin Soulier, qui demande une rectification d’état civil … et qu’elle rectification : il souhaite tout bonnement être déclaré « ressuscité » ! Ce dernier dévoile alors toute la vérité : partie au front en août 1914, il combat jusqu’à la bataille de Beauséjour, le 7 mars 1915, il est porté disparu, présumé mort, puis officiellement déclaré décédé en 1921. Son nom est donc porté sur la plaque de l’église … mais apparemment avec le prénom de Justin… Coup de théâtre en 1937, Firmin écrit à l’autorité militaire à Mende, avoue qu’en fait après l’hécatombe des combats il a déserté le champ de bataille.

Espérant être déclaré mort, et s’est réfugié en Espagne. Le mystère de Firmin / Justin est, en partie, dévoilé 20 ans après la fin du premier conflit mondial…
Pour mieux définir et comprendre la désertion en temps guerre, monsieur Davatchi présente les aspects de ce phénomène, finalement mineur au cours de la Iè Guerre Mondiale : seulement 1 % de l’ensemble des conscrits français, sur l’ensemble du conflit. Quels risques prennent les soldats, leurs familles s’ils sont au courant, les raisons qui poussent les soldats à de telles extrémités… Ce qui amène à s’intéresser plus particulièrement aux lozériens qui ont franchi ce cap, dont certains de Lajo, comme Firmin… Après un parcours militaire dans l’infanterie, classique pour un jeune paysan lozérien de l’époque, c’est l’hécatombe de la bataille de Beauséjour (90 000 morts !) et la perte de proches dans les combats qui vont jouer pour lui le rôle de catalyseur.

 

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Monsieur Kwietniak poursuit ensuite sur les circonstances de la découverte du dossier, et sur le déroulement des faits cités précédemment. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais grâce au contact de monsieur Alain Soulier, maire actuel de Lajo, elle va s’enrichir d’un témoignage exceptionnel. En effet, suite à des demandes de renseignements effectués par Monsieur Kwietniak auprès de la mairie, pour mieux comprendre l’affaire, monsieur Soulier le rappelle car il est intrigué : ce soldat porte le même nom que lui, et il est aussi originaire de l’Estival. Il interroge son père, Lucien Soulier, ancien maire, qui lui dévoile la vérité, Firmin est l’oncle de Lucien ! Il lui explique alors toutes les circonstances de cette épopée : la détresse morale extrême de Firmin après la perte de son frère au combat quelques jours avant la bataille de Beauséjour, la fuite des combats, le voyage clandestin de nuit pendant près de deux mois, le passage à Lajo pour voir une dernière fois ses parents… Et enfin l’arrivée en Espagne où il est recueilli par une congrégation religieuse de Figueras, épouse une veuve, Carmen Concas, avec qui il s’installe comme agriculteur à Fortia, près de Figueras. Après sa résurrection officielle, il ne reviendra qu’une fois à l’Estival de Lajo, en 1951, puis, retournera définitivement en Espagne jusqu’à son décès dans les années 70.

Pour conclure, David Davatchi souligne les parallèles singuliers entre le destin de Firmin et celui d’un autre fils de la Margeride, très proche de Lajo : Augustin Trébuchon, le dernier soldat français tué le 11 novembre 1918. Même milieux sociale et professionnel, tous deux sont dans l’infanterie. Mais là où Augustin est entré dans la Grande Histoire par sa mort, Firmin survie et entre dans la clandestinité et l’anonymat. Tous deux, à la fin, reposent très loin de leur Margeride natale.

 

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À gauche : Benoit KWIETNIAK (Archives départementales Lozère) – À droite : David DAVATCHI (ONAC 48)