Quels que soient les critères retenus, il est absolument certain que la Lozère est l’un, si ce n’est le département, qui a payé le plus lourd tribut lors de la Grande Guerre : 23 à 25% des hommes mobilisés ont péri (soit 6000 à 6500 morts) dans ce terrible conflit alors que la moyenne nationale n’est que de 16 %.
Mais qui était donc le Poilu lozérien ?
Aborder la Grande Guerre à travers le regard de celui qui l’a vécue – homme de troupe parmi d’autres hommes de troupe – est l’angle qu’a choisi M. Jules Maurin° lors de sa conférence du 12 mai, à l’invitation du CER Benjamin Bardy. Ce grand universitaire et historien, après avoir rendu un hommage ému à celui qui l’a si souvent aiguillé dans les « trésors » des Archives départementales de la Lozère, en a brossé le portrait…
L’étude minutieuse des fiches des registres matricules lui a permis de dégager les aspects anthropologiques et sociaux du conscrit lozérien : petite taille (1m63 en moyenne), degré 3 d’instruction (lire, écrire, compter), fils d’agriculteurs (les plus nombreux), d’artisans et de commerçants. Seuls les infirmes, les « faibles », les catarrheux, soit environ 40%, sont exemptés par le médecin major…
En août 1914, la mobilisation se passera sans incidents graves et accidents majeurs même si environ 2% de mobilisables lozériens ne recevront jamais leur ordre individuel, sans pour autant être considérés comme « insoumis ».
Intégrés au 16° corps d’armée et affectés principalement dans l’infanterie, les lozériens du 142° vont connaître, dès 1914, les très durs combats de Lorraine et la bataille des Flandres où, pour la 1° fois, sera utilisée l’ypérite.
Ce seront ensuite les tranchées où le fantassin se fera terrassier dans d’épouvantables conditions de vie ou de survie. Mais, paradoxalement, cette « guerre des tranchées » la plus longue de décembre 1914 à l’été 1918 se révèlera la moins meurtrière, si l’on excepte Verdun où combattront des lozériens.
Le Poilu lozérien va peu à peu s’isoler en se trouvant séparé de ses « pays » tant les brassage des régiments et des hommes sera constant tout au long du conflit ; seuls 20% des soldats lozériens sont restés affectés au 142° RI …
Les lettres, de quotidiennes, deviennent hebdomadaires, puis vont aller en se raréfiant tout en devenant plus denses malgré l’efficace censure militaire… Les très rares permissions accordées sont souvent reportées…
Le moral baisse même si le Poilu s’endurcit et ne se plaint que très rarement de la nourriture, complétée par les colis familiaux partagés ; l’alcool et le tabac aident à tenir…Il écrit ses souffrances physiques et psychologiques : équipement trop lourd, conditions climatiques difficiles, les rats, les poux et la vermine, les blessés et cette Mort qui rôde constamment !
Cela se sait à l’arrière où arrivent les avis de décès. Dès lors, dès 1916, une stratégie d’évitement se met en place : les engagés (jusqu’à 30% pour la classe 19) choisiront, non pas cette épouvantable et meurtrière infanterie, mais l’artillerie lourde, la marine ou même le Génie.
Cette Grande Guerre ne sera pas sans conséquences pour la Lozère. La démographie sera modifiée : beaucoup de morts étaient de jeunes hommes célibataires… Le village ne sera jamais plus comme avant : ambiance morbide, souvenir prégnant des morts avec l’édification des Monuments aux Morts et plaques commémoratives, création des Associations d’Anciens combattants…L’émancipation des femmes commence : nouvelles responsabilités, nouveaux métiers…Mais, c’est surtout l’exode rural, déjà présent, qui va aller en s’accentuant…
Cette conférence a permis à chacun des très nombreux participants de mieux connaître ce que fut la guerre de ces Poilus lozériens – peut-être un grand-père ou un arrière-grand-père – « qui, sans faillir à l’honneur (…) ne se battent pas par idéologie. Ils se battent parce que c’est ainsi, qu’on ne peut faire différemment (…) Ils se garderont bien de juger la guerre, de juger l’armée . Leur passé ne leur a pas appris à juger mais à subir. Il n’empêche qu’au fond d’eux-mêmes les survivants en retrouvant la joie d’être penseront que rien ne vaut la paix » (in Armée Guerre Société).
Bel hommage au Poilu lozérien rendu par monsieur Jules Maurin qui a su, avec simplicité, partager son érudition et sa passion. Qu’il en soit encore remercié.
Monsieur Jules Maurin : – un grand universitaire : professeur émérite à l’université Paul Valéry Montpellier III dont il fut président ; ancien directeur de recherches au CNRS,
– un grand historien : spécialiste international de la chose militaire et de la société dans le bas-Languedoc et son arrière-pays au XX° ; spécialiste de l’histoire de la conscription et de l’armée sous la III° république. * Armée Guerre Société. Soldats languedociens (1819-1919) réédité en 2013, par les Publications de la Sorbonne. * 1917, les mutins de la République. * La révolte du Midi viticole ( Toulouse, Privat, 2013).
– un élu lozérien : maire de Pelouse et vice-président de la communauté de communes « Cœur de Lozère » |