Les thérapies à base d’ARN

Les thérapies à base d’ARN ont été récemment révélées au grand public par l’apparition au début de l’année 2020 des vaccins à ARN messager anti-SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. En fait, depuis sa découverte en 1961, l’ARN n’a cessé d’intéresser les chercheurs et les médecins par ses capacités à offrir de nouvelles perspectives dans le traitement de multiples maladies et de cancers. Le but de cette conférence du 10 janvier au CER BB de Mende était de faire le point sur les diverses stratégies thérapeutiques à base d’ARN.

Historique des thérapies à base d’ARN (Fu et al. 2023, Int. J. Biol. Sci.)

On peut aujourd’hui identifier quatre types d’ARN qui sont impliqués dans ces thérapies :
I) les ARN messagers (ARNm) utilisés dans les vaccins contre des pathogènes viraux ou contre des cancers,
II) les ARN guides dans l’édition génomique,
III) les ARN antisens dans la correction des erreurs d’épissage,
IV) les ARN interférents dans le contrôle de l’expression des protéines responsables de maladies ou de cancers.

Les vaccins à ARNm
Depuis que le premier vaccin anticancer à ARNm a été conceptualisé et testé chez la souris en 1995, de nombreuses études précliniques et cliniques ont démontré la faisabilité de ces vaccins à ARNm. Cette évolution s’est confirmée avec le vaccin anti-SARS-CoV-2 à partir de janvier 2020. Au 1er décembre 2023, le nombre de victimes de la COVID-19 est de l’ordre de 7 millions au niveau mondial. On estime qu’entre janvier 2020 et janvier 2021, époque à laquelle sévissait le variant delta très pathogène, le vaccin anti-SARS-CoV-2 a sauvé 19,8 millions de vies selon une étude anglaise publiée en 2022. Rappelons qu’aujourd’hui la probabilité de mourir d’une COVID-19 est 3700 fois plus élevée que celle de mourir d’un vaccin à ARNm. L’évolution rapide de nouveaux variants viraux du SARS-CoV-2 du fait de l’accumulation de mutations dans son génome, a obligé les chercheurs à adapter la séquence de l’ARNm des vaccins à ces variants. Alors qu’en 2020 les vaccins étaient spécifiques du virus original (Wuhan 2019), ils sont aujourd’hui spécifiques des tout derniers variants Omicron, notamment le XBB.1.5.

C’est entre 2008 et 2009 qu’a été injecté le premier vaccin à ARNm dans le traitement de cancers chez l’homme, avec celui dirigé contre le mélanome. Les vaccins tumoraux à ARNm peuvent être conçus spécifiquement en fonction des antigènes tumoraux exprimés par les cellules cancéreuses et déclencher de fortes réponses immunitaires des lymphocytes T cytotoxiques ou des lymphocytes B producteurs d’anticorps. Les antigènes spécifiques de tumeurs sont des néo antigènes dérivés de mutations dans les cellules tumorales, possédant une spécificité tumorale et une immunogénicité élevées. De nombreux vaccins anticancer à ARNm sont aujourd’hui en cours de développement aux niveaux cliniques et précliniques.

Le principe de l’immunothérapie cellulaire à base de récepteur antigénique chimérique (CAR) est de modifier les lymphocytes T pour qu’ils reconnaissent les cellules cancéreuses afin de les détruire plus efficacement. Cette stratégie a d’abord été mise en place pour traiter les lymphomes et leucémies dans la deuxième moitié des années 2010. Les scientifiques prélèvent des lymphocytes T sur le malade, les modifient génétiquement, notamment par injection d’ARNm codant pour la protéine CAR, puis injectent ces lymphocytes T-CAR pour attaquer les cellules cancéreuses. Depuis 2020, cette stratégie est en plein développement pour le traitement de nombreux cancers à tumeur solide.

Les ARN guides pour l’édition génomique
C’est en 2013 que la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna ont reçu le prix Nobel de médecine pour leur travaux sur l’édition génomique avec la mise au point de la méthodologie CRISPR-Cas9 (appelée le ciseau moléculaire). Cette technologie permet de corriger ou de modifier le génome humain au niveau de gènes impliqués dans des maladies génétiques ou des cancers. Cette technologie met en jeu de petits ARN, dits ARN guides, qui vont permettre à la nucléase Cas9 de couper l’ADN à un point très précis, justement encadré par ces ARN guides qui se positionnent de part et d’autre de la zone du gène à corriger. De nombreuses études contre des maladies génétiques et des cancers sont en cours de développement sur cette approche. Tout récemment (novembre 2023) le traitement de la drépanocytose (une maladie génétique de l’hémoglobine qui tue environ 100 000 personnes par an dont 50-90% sont des enfants avant l’âge de 5 ans) par édition génomique a été mis sur le marché en Europe et aux Etats-Unis.

Les ARN antisens pour la correction des erreurs d’épissage
Au cours de l’expression des gènes, l’ADN est transcrit en ARN pré-messager qui en est la réplique parfaite. Intervient ensuite l’épissage qui consiste à construire l’ARN messager en ne conservant que les parties codantes, c’est à dire celles qui seront traduites en protéine. Ce mécanisme qui joue un rôle majeur dans l’expression des gènes peut malheureusement être perturbé par des mutations et il en résulte alors des défauts dans la séquence de l’ARNm qui se traduisent par une absence ou une inefficacité de la protéine correspondante. De nombreuses maladies génétiques et cancers trouvent leur origine dans ces erreurs d’épissage. L’amyotrophie spinale infantile en est un exemple typique. Cette maladie neuromusculaire touche les enfants porteurs qui meurent dans les cas les plus graves avant l’âge de 2 ans. Depuis 2019, un ARN antisens appelé le nusinersen a été mis sur le marché et permet de corriger l’erreur d’épissage responsable de la maladie. Les enfants sont guéris à condition de leur appliquer le traitement dès la naissance. Il est donc nécessaire de faire le diagnostic génétique de la maladie dès la naissance.

Les ARN interférents pour détruire les protéines toxiques ou responsables de maladies ou de cancers
L’interférence d’ARN, découverte entre 1993 et 1998, est un mécanisme de défense naturel contre l’invasion de gènes exogènes provenant d’infections bactériennes, fongiques ou virales. Les ARN interférents sont synthétisés afin de cibler spécifiquement un ARNm cible que l’on veut détruire. La dégradation de cet ARNm cible a pour conséquence la non production de la protéine correspondante et la maladie est ainsi guérie. En 2018, le premier ARN interférent appelé le patisiran a été mis sur le marché. Cet ARN interférent cible l’ARNm qui code pour le protéine responsable de l’amyloïdose héréditaire, la transthyrétine. De nombreux ARN interférents sont en cours de développement pour le traitement de très nombreuses maladies et cancers.

En conclusion, les thérapies à base d’ARN sont le fruit de longues années de recherche. Aujourd’hui les divers ARN-médicaments sont en plein développement pour un grand nombre de maladies métaboliques, neurologiques, neuromusculaires, etc., et pour le traitement de nombreux cancers. Malheureusement, le coût très élevé de ces thérapies limite pour le moment leur utilisation aux pays les plus riches.

Monsieur Maurel, conférencier
© Extraits du diaporama présenté par Patrick MAUREL, directeur de recherches et directeur de l’INSERM Montpellier, le mercredi 10 janvier 2024